I NOSTRI ANTICHI
NOSTRU PASSADU : LES GRECS et la CORSE
Partie 1
L’installation des Grecs en Corse relève d’une histoire connue. C’est à la ville de Phocée, en Asie Mineure, que revient l’honneur d’avoir introduit la Corse dans le courant général des affaires méditerranéennes. Les Phocéens savaient construire des navires de haute mer, effilés et solides à la fois, capables de voyager très loin. Entrés en concurrence avec les Phéniciens, les négociants de Phocée projetèrent de s’installer à demeure dans le bassin occidental de la Méditerranée et d’y établir des colonies. Les villes de 1′ Ionie étaient alors en pleine expansion ; riches et cultivées, elles répandaient autour d’elles les éléments de cette civilisation qui fit la gloire de la « polis » antique. Quiconque entrait en relations avec elles, voyait s’élargir heureusement l’horizon de sa pensée. L’événement survint au cours du vie siècle. Les Phocéens avaient atteint, d’abord, l’Espagne et avaient fondé Tartessos. Ils naviguèrent, ensuite, sur les côtes de Provence et créèrent, vers l’an 600, l’établissement de Marseille. Ils voulurent alors s’assurer le monopole du commerce dans la mer Tyrrhénienne et protéger la route par laquelle ils entretenaient des relations régulières avec les villes italiennes de l’Etrurie et du Latium. En 557 avant J.-C., ils débarquèrent donc sur la côte orientale de la Corse et élevèrent, à l’embouchure du Tavignano, la cité d’Aleria ou Alalia. En 540, des réfugiés de Phocée, fuyant devant l’invasion perse de Cyrus, vinrent se j oindre à leurs compatriotes et accroître ainsi leur potentiel de développement : la Corse ressentait les conséquences lointaines des guerres Médiques. La vallée du Tavignano constitue l’une des voies les plus commodes pour pénétrer à l’intérieur de l’île. Les Grecs entrèrent en relations avec les indigènes et leur firent connaître, semble-t-il, deux arbres qui devaient, par la suite, tenir une placé importante dans l’économie du pays : l’olivier et la vigne. L’introduction de l’arboriculture constituait une véritable révolution : ce peuple de pasteurs et de chasseurs se trouvait en présence d’une notion nouvelle et une classe de cultivateurs devait se former dans cette société. Certains auteurs ont été jusqu’à soutenir que les cadres intérieurs des clans en furent modifiés ; que l’homme en devenant moins nomade, en stabilisant pour ainsi dire son genre de vie, prit, dans la famille, l’importance que tenait jusqu’alors la femme et que l’autorité si absolue du père datait de là. Mais ce n’est là qu’une hypothèse, en contradiction d’ailleurs avec l’existence même de clans, qui sont toujours à base patriarcale. Quoi qu’il en soit, il semble bien que vers le milieu du vie siècle la Corse paraissait appelée à bénéficier des trésors de la civilisation hellénique. Il n’en fut rien cependant. La prospérité même d’Alalia était devenue un sujet de mécontentement pour les puissances riveraines de la mer Tyrrhénienne, Etrusque au Nord, et Carthaginoise, au Sud. Elles se coalisèrent, attaquèrent les Phocéens et remportèrent sur eux, en 533 avant J.-C., une victoire navale qui fut décisive. Les Grecs durent abandonner leur colonie, fuir sur les côtes de Provence, où leurs établissements connurent une destinée moins éphémère.
Pour les indigènes, le succès Etrusque pouvait ne pas avoir que des conséquences néfastes. Maîtres de l’Italie du Nord, d’une part, et, d’autre part, de la Campanie, les Etrusques avaient su mettre en valeur, grâce à leur science agricole et à leur activité industrielle, les diverses provinces de leur empire. Mais en Corse ils ne purent pousser leur oeuvre très avant. L’heure de la décadence avait sonné pour eux. En Italie du Nord l’invasion gauloise les menaçait sur leurs frontières septentrionales, une Rome grandissante, sur leurs frontières méridionales ; en Campanie les cités grecques du golfe de Tarente et de la Sicile travaillaient activement contre leur autorité.
La fédération qui unissait leurs différentes cités n’avait plus un ressort suffisant pour résister à de pareils assauts et, sans doute, n’avait-elle pu triompher à Aléria que grâce à l’alliance punique. Les Etrusques limitèrent donc leur occupation au littoral, se contentant de tirer profit des forêts ou de faire ramasser quelques produits de cueillette tels que la cire et le miel. Les indigènes demeurèrent indomptables dans leurs montagnes, ne se laissant aucunement influencer par l’existence luxueuse et raffinée qu’aimaient les Etrusques et conservant la rusticité de leurs moeurs. En Corse, les premiers coups furent portés à la puissance étrusque par les Doriens de Syracuse. Dès 453, des débarquements se produisaient dans le golfe de Santa-Amanza, au sud-est de l’île, et, vers 380, les Syracusains établissaient dans cette anse, bien abritée des coups de vent, la base de leurs attaques contre les possessions étrusques. Denys Ier essayait alors de donner à la cité qu’il gouvernait un empire digne de sa propre ambition et il menait une offensive incessante contre tous les adversaires qui le gênaient dans l’Adriatique, en Afrique du Nord, ou dans la mer Tyrrhénienne. Son oeuvre ne fut pas de longue durée ; les Carthaginois lui barrèrent la route ; il ne subsista de tout cet effort que le nom transcrit par Ptolémée, pour le golfe de Santa-Amanza, de Souracusanos limen. En 280 avant J.-C. les Carthaginois pensaient sans doute s’installer dans l’île qu’ils venaient de conquérir ; ils se trompaient. Seize ans à peine s’étaient écoulés, qu’il leur fallait s’éloigner de ces rivages ; la première guerre Punique commençait et l’on ne devait plus les revoir.
GV