SCANDOLA 2 : NATURE ET TOURISME
SCANDOLA TOURISME ET NATURE
Il a suffi de quelques lignes pour mettre le feu aux poudres : en décembre 2018, une étude du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) alertait sur la situation des balbuzards de la réserve de Scandola. Située sur la côte ouest de la Corse, cette réserve naturelle marine et terrestre abrite les oiseaux migrateurs pendant leur période de reproduction, du début du printemps à la mi-juillet. Une rareté en Méditerranée, où l’espèce est en déclin, et qui a fait du balbuzard l’emblème de Scandola. « À l’origine, l’étude n’était pas orientée vers le problème de la surfréquentation touristique mais plutôt sur la connaissance générale du balbuzard en Méditerranée », explique Olivier Duriez, chercheur à l’université de Montpellier et coauteur de l’étude. C’est en cherchant à comprendre pourquoi le succès de la reproduction du balbuzard à Scandola avait chuté vertigineusement ces dernières années, passant d’une cinquantaine de poussins par an dans les années 2000 à moins de dix aujourd’hui, que les scientifiques ont regardé du côté de la fréquentation touristique.
D’après leurs estimations, plus de 400 bateaux, plaisanciers et groupes de touristes, passent chaque jour sous les nids des balbuzards en haute saison : les bruits de moteurs et de haut-parleurs ainsi que les mâts arrivant à hauteur des nids perturbent les oiseaux. « Les mâles rapportent trois fois moins de poissons à leurs nids dans le secteur de Scandola que dans les secteurs moins dérangés, car les bateaux créent des vagues. Ces vagues les gênent pour pêcher et font descendre les poissons plus bas dans la colonne d’eau, les rendant ainsi inaccessibles aux oiseaux. Parallèlement, les femelles passent trois fois plus de temps dans des postures d’alarme, de cri ou d’envol. Elles ne protègent alors plus le petit du soleil ou des prédateurs ».
Un constat partagé par Olivier Biber, expert auprès du Conseil de l’Europe venu en juillet 2018 à Scandola pour une mission d’évaluation dans le cadre du renouvellement du diplôme européen des espaces protégés : « J’ai vu de mes propres yeux la situation en juillet, embarqué sur le bateau du garde de la réserve. J’ai été effaré par le trafic qu’il y a et, surtout, par le comportement de certains bateliers qui font la course pour arriver le premier sur des sites ou dans des grottes alors qu’ils sont censés baisser leur vitesse à 5 nœuds [environ 9 km/h]. » Pour l’expert, « dans ces conditions, » on ne renouvelle pas le diplôme européen « . Mais les autorités locales lui ont assuré que des mesures seraient prises avant le verdict définitif, repoussé à mars 2020. « Il faut des zones où on ne s’approche pas à plus de 100 ou 300 m de la côte et des mesures sur la vitesse des bateaux. Et, surtout, il faut faire appliquer ces règles. En juillet et en août, il faudrait également que les bateliers se mettent d’accord sur un nombre limité de bateaux », estime Olivier Biber.
Du côté des bateliers,
Du côté des bateliers, on est loin d’être du même avis : « C’est un mauvais procès qui nous est fait. Nous transportons 150.000 visiteurs dans des conditions optimales en matière de protection du site puisqu’ils sont sensibilisés sur l’intérêt écologique d’une telle réserve. Le même nombre de visiteurs sur des bateaux privés ou de location serait incontrôlable », affirme Éric Cappy, président de l’association des bateliers de Scandola, qui argue de la mise en place d’une charte interne à la profession selon laquelle elle s’engage à limiter les nuisances sonores et visuelles. « Nous ne sommes pas du tout hostiles à une réglementation, par exemple en créant des zones d’exclusion temporaire d’avril à juin sous certains nids », ajoute Éric Cappy. Problème, les scientifiques assurent que les oiseaux ont besoin de calme jusqu’à la mi-juillet, lorsque la saison touristique bat déjà son plein. Les agents du parc et les professionnels du tourisme sont également en désaccord sur le nombre de bateaux fréquentant Scandola. Une tension palpable autour de la réserve, qui est encore montée d’un cran avec plusieurs messages de menaces adressés à son conservateur depuis janvier dernier.